Il y a un temps pour s’énerver, se fâcher, bouder, et un temps pour pardonner. Ce n’est pas toujours facile. Pour aider nos adolescents à faire la paix, le magazine Phosphore leur donne de nombreux conseils élaborés avec des experts (psy, diplomate, scénariste, CPE, médiatrice familiale). À l’approche de Noël, que diriez-vous d’une petite lecture en famille ?
Nos ados reviennent parfois fâchés du lycée, brouillés avec un ou une ami(e). Et l’autre soir, c’est en famille que le ton est monté. Toutes ces situations de la vie posent la question de la réconciliation. Comment faire ? Comment trouver les mots ? Quel est le bon tempo ? Pour en parler, à la rédaction de Phosphore, nous sommes allés à la rencontre de professionnels, dont le métier est de gérer les conflits. Et si possible, de les résoudre.
Un diplomate de l’ONU nous assure que tout commençait par la compréhension. « La vraie empathie, nous dit-il, c’est de pouvoir se mettre à la place de l’autre même quand on n’est pas d’accord. »
Une médiatrice familiale nous confronte à l’exercice du 6 : un chiffre qui peut être également vu comme un 9 et qui aide à comprendre que nous jugeons toujours une situation de notre point de vue.
Une CPE nous rappelle que la gestion des émotions comme la capacité à communiquer son désaccord sont de réelles qualités : ce sont des compétences psychosociales. Le personnel scolaire veille à ce que les élèves les intègrent au cours de leur scolarité, car ce sont celles qui nous permettent de vivre ensemble.
Enfin, le psychologue Saverio Tomasella insiste sur l’importance des mots. Pouvoir dire « je m’excuse » ou « je n’ai jamais voulu ça » peut réparer bien des cœurs meurtris et adoucir bien des relations abîmées.
Voici quelques clés découvertes au fil de ces rencontres, parmi les 30 conseils que notre dossier explore. De quoi susciter un peu d’apaisement à la maison avant les fêtes de fin d’année !
Apolline Guichet, chef de rubrique du magazine Phosphore
Lire et partager l’article « Comment se réconcilier », publié dans le magazine Phosphore n° 588
Les conseils du psy, pro de l’accompagnement
Avec Saverio Tomasella, psychanalyste, co-auteur de Faire la paix avec sa famille (Larousse)
Bien se fâcher d’abord. On ne peut pas se réconcilier si on n’a pas exprimé ce qui ne va pas. Parfois, ça demande de le faire avec force pour dire clairement ce qu’on pense. Mais ça permet qu’il n’y ait pas de conflit larvé : un conflit réel mais dont l’autre n’est pas au courant ou n’en mesure pas les proportions.
Mettre à profit le temps de la séparation. Parce qu’il y a eu une dispute, la relation est mise à distance. C’est ce temps qui nous permet de revenir vers l’autre, de mesurer l’impact de ce qu’on a dit, de la peine qu’on a pu faire, du désir de se rapprocher et de renouer.
Jauger sa relation. En se demandant : « Où j’en suis de ma relation avec cette personne ? », « Est-ce que j’ai tout dit ? », « Ce qui m’a fâché·e existe-t-il encore ? »
Faire appel aux autres. Ce sont toujours les autres qui nous permettent de relativiser, en nous racontant leurs propres expériences, en nous remettant en lien, en nous suggérant des solutions.
Être capable de s’excuser. Si nos mots ont été forts, revenir en demandant pardon. En grec, pardon signifie « laisser aller » et c’est exactement ça : arrêter d’en vouloir, d’être dans la revendication, laisser passer la vie. Et attendre que nos mots résonnent en l’autre, attendre son feu vert.
Revenir de façon légère, s’il n’y a pas eu de clash. Réenclencher la relation sur quelque chose d’agréable, proposer une sortie, reparler d’une chose qui nous faisait rire, se reconnecter.
Baisser les armes et baisser le ton. Ne pas envisager l’autre comme un adversaire mais comme quelqu’un de son équipe. La relation est plus importante que l’ego de chacun. Si elle se brise, les deux personnes perdent quelque chose.
Si on doit reparler de la brouille, utiliser la communication du « je » en trois temps : 1/ « J’ai constaté que tu étais moins présent ces derniers temps. » 2/ « Je ressens de la peine. » 3/ « J’ai besoin que tu sois là. »
Reprendre contact par écrit en misant sur le positif. « Tu me manques », « J’ai envie de te voir »… On esquive ainsi la négativité : l’humain retient plus facilement ce qui ne va pas, alors on surligne là ce qui va.
Se retrouver côte à côte. Le face-à-face peut être difficile pour se revoir, on peut choisir de marcher côte à côte, et pourquoi pas en silence. Il n’y a parfois pas besoin de plus de mots lorsqu’on sent qu’on a simplement besoin d’être ensemble.
La stratégie du diplomate, as de la gestion de conflits
Avec Nicolas de Rivière, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès des Nations unies
Comprendre comment l’autre pense. La vraie empathie, c’est pouvoir se mettre à la place de l’autre, même quand on n’est pas d’accord. En prenant en compte son vécu, sa culture, sa manière de raisonner, ses intérêts. Il faut qu’il se sente respecté, c’est la base. Et ça permet de s’ajuster soi-même. Reprendre le dialogue. On peut y aller par étapes si la situation est compliquée : se téléphoner, prendre un café, essayer de se revoir plus longtemps. Quand on se parle, on réduit le spectre des divergences : on se rend compte que ce qu’on imaginait être un fossé n’est parfois qu’une nuance.
Faire attention aux détails. Par exemple : si on se donne rendez-vous quelque part, prendre en compte les goûts de l’autre, s’assurer qu’il sera à l’aise dans cet environnement. Parfois, le fond, c’est la forme. Être franc. Quand on est ambigu, qu’on parle par allusions ou qu’on tourne autour du pot, on risque les malentendus. Donc il faut être clair. Parler franchement n’empêche pas d’être respectueux.
Trouver un terrain d’entente. Le compromis implique de lâcher sur certaines choses parce que le résultat est plus important. Par exemple : accepter qu’un ami ne soit pas un partenaire d’exposé très fiable mais se dire que notre amitié compte plus. C’est à chacun d’évaluer ce qu’il est prêt à mettre de côté pour reprendre une relation. Et de s’assurer de s’y retrouver dans une forme de négociation. On peut dire à cet ami qu’on ne se met plus ensemble pour les exposés mais que pour une partie de League of Legends, c’est toujours oui.
La méthode de la CPE, experte des différends entre élèves
Avec Jade Valentini, CPE au collège Kochersberg, à Truchtersheim (Alsace)
Être apaisé avant de se reparler. Le conflit naît souvent d’un sentiment de tristesse, d’injustice, d’humiliation, de déception. Il faut laisser les émotions redescendre pour engager une discussion. Pouvoir dire ce qu’on ressent. C’est possible dans un cadre où ce qu’on dit ne sera pas répété partout, dans lequel on peut parler sans crainte et sans jugement.
Se mettre à la place de l’autre. En se demandant : « Comment est-ce que j’aurais réagi à sa place ? » pour comprendre sa position et l’écouter vraiment.
Trouver des solutions. En se demandant : « Qu’est-ce qui va se passer après ? », « Qu’est-ce qui nous ferait du bien ? ». Certains se serrent la main, prononcent des mots d’excuses ou écrivent une lettre. À chacun sa façon de se raccommoder.
Apprendre pour la prochaine fois. Tout ce qu’on vient d’évoquer – la gestion des émotions, la communication, la résolution des conflits – sont de réelles qualités. On appelle ça des compétences psycho-sociales. Elles nous permettent de vivre ensemble, malgré nos désaccords et nos différences, de s’aimer, se disputer et de se re-aimer.
L’avis de la scénariste, maîtresse des émotions
Avec Rose Philippon, co-scénariste des films Les Bêtises et Les Magnétiques, co-réalisatrice de la saison 2 d’Aspergirl
Faire sortir les difficultés. « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon », écrit Tolstoï dans Anna Karénine. Le moteur des livres comme des films, ce sont les problèmes, les conflits. Et c’est pour ça qu’on les regarde : il y a un effet cathartique, libérateur, en voyant que la situation peut évoluer.
S’intéresser au cheminement plus qu’au dénouement. Dans Le Comte de Monte-Cristo, Dantès a été trahi de multiples fois. La question qui le traverse est celle de la vengeance et avec lui, on fait le chemin pour comprendre que ce n’est finalement pas la solution.
Montrer une évolution par des actes. Ça peut être une attention, un changement de comportement. Dans Vice-Versa, Joie méprise Tristesse parce qu’elle pense que Riley, dont elle gère les émotions, n’a pas besoin de Tristesse. À la fin, elle lui laisse une place parce qu’elle comprend qu’elle a fait une erreur. Se passer de grands discours. Dans Une Histoire vraie de David Lynch, un homme parcourt des kilomètres en tracteur pour aller voir son frère malade à qui il ne parle plus depuis des années. Quand il arrive, son frère lui dit juste « T’as fait tout ça pour venir me voir ? », il lui répond « Bah oui » et il regarde vers le ciel. Et tout est dit.
Le plan de la médiatrice familiale spécialiste de l’apaisement
Avec Gulnar Amengual, médiatrice familiale, directrice de Parenthèse Médiation
Être volontaire. Pour renouer le dialogue, il faut que les deux personnes en aient envie.
Clarifier les intentions. Parfois, on entend des choses dans les propos de l’autre, on lui prête des intentions parce qu’il nous a blessé·e et on l’écoute avec cette blessure-là. Dans ce nouveau dialogue, il faut essayer de ne pas interpréter ses mots.
Admettre qu’on juge la situation de son point de vue. Imaginez deux personnes avec le chiffre 6 dessiné entre elles. L’une affirme que c’est un 6, l’autre voit un 9. Les deux ne sont pas d’accord et pourtant, elles ont toutes les deux raison… de leur point de vue.
Parler de son ressenti, en utilisant « je », plutôt que « tu ». Par exemple : « J’ai ressenti de la tristesse quand tu m’as parlé », plutôt que « tu as été tellement méchant » qui enferme l’autre dans une accusation.
Identifier le blocage. Est-ce que le conflit porte sur la relation (un problème de communication générale où on ne se comprend pas toujours bien) ou un point précis (l’un voudrait passer plus de temps ensemble et l’autre ne trouve pas ça si important).
Reconnaître ce qui nous lie à l’autre, ce qui nous plaît et lui dire. Car on s’embrouille rarement avec des gens qui nous indiffèrent. C’est parce qu’on avait des attentes et que cette personne comptait que le conflit est arrivé. Pouvoir dire des mots qui réparent. « Je m’excuse », « Je suis désolé·e », « Je n’ai jamais voulu ça »…
Accepter que la réconciliation puisse ne pas aboutir, ou pas tout de suite. Se reparler peut apporter juste de l’apaisement et c’est déjà important. Parce que faire la guerre à quelqu’un, c’est fatigant.