Marie Aubinais, créatrice de Petit Ours Brun.
© Marie Aubinais, créatrice de Petit Ours Brun. illustration : Danièle Bour.

Marie Aubinais : “Petit Ours Brun est le héros de la vérité du quotidien”

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Né dans les pages du magazine Pomme d’Api, Petit Ours Brun est l’une des premières figures de la littérature jeunesse pour les tout-petits. Ce personnage attachant adopte le regard de l’enfant pour raconter les mille aventures de la vie quotidienne. Marie Aubinais, l’autrice des histoires de l’ourson, nous confie ses secrets de fabrication et sa grande affection pour ce petit héros qu’elle se plaît à mettre en scène depuis 1984.

Avant d’écrire les aventures de Petit Ours Brun, elle a été une de ses fidèles lectrices : Marie Aubinais a 15 ans lorsque Bayard publie la première histoire en 1975. Issue d’une famille nombreuse, elle lit à ses petites sœurs les histoires du soir et, parmi elles, celles de Petit Ours Brun. L’autrice de la première histoire, Claude Lebrun, est professeure de littérature à Rennes. Quelque temps plus tôt, elle a adressé au magazine Pomme d’Api trois scénarios mettant en scène un petit ours qui décide de grandir, de mettre la table, de s’habiller et d’aller au pot. Tout seul, comme un grand. Le personnage séduit immédiatement les enfants et leurs parents. C’était il y a 50 ans.

À l’époque, le magazine des 3-7 ans cherchait justement un héros « d’entrée de magazine », attachant et susceptible de parler aux plus petits… Les dessins de Danièle Bour participent de la création de ce petit être emblématique : un trait simple, des scènes concrètes, lisibles, ont fait de ce désormais célèbre ursidé un incontournable de la littérature jeunesse.

Neuf ans plus tard, en 1984, c’est à Marie Aubinais que revient la mission d’inventer les histoires de Petit Ours Brun et de ses parents. Elle s’est prise très rapidement au jeu et n’a jamais lâché sa petite patte. Elle nous raconte.

  • Petit Ours Brun est aujourd’hui un héros récurrent dans les magazines Popi (1-3 ans) et Pomme d’Api (3-7 ans).

Petit Ours Brun, un compagnon pour les tout-petits

Quand avez-vous rencontré Petit Ours Brun pour la première fois ?

Marie Aubinais : Je suis issue d’une famille nombreuse, abonnée à Pomme d’Api. J’ai lu très tôt les aventures de Petit Ours Brun à mes petites sœurs. En tant qu’autrice, je me suis vu confier un scénario de Petit Ours Brun dès mon arrivée à la rédaction de Pomme d’Api en 1984.

Écrire un scénario pour Petit Ours Brun, ça met la pression ?

M. A. : Non, parce qu’il y a toujours eu beaucoup de bienveillance à la rédaction. On a toujours pris le temps qu’il faut pour retravailler l’histoire jusqu’à ce qu’elle sonne juste. Il faut dire aussi que Petit Ours Brun n’avait pas du tout la même notoriété qu’aujourd’hui…

Sa popularité a démarré en 1987, avec son premier dessin animé sur France 3. À l’époque, Mireille Chalvon, figure des programmes jeunesse de la chaîne, trouvait qu’on ne faisait pas assez de choses pour les tout-petits. Et elle lisait Petit Ours Brun à ses petits enfants avec beaucoup de bonheur. Elle a eu l’idée de lancer ce dessin animé assisté par ordinateur, avec un générique composé par Henri Dès. C’était très simple, très joyeux, ça a beaucoup plu.

Au pays des émotions du quotidien

À quoi Petit Ours Brun doit-il son succès en édition et en presse ?

M. A. : Graphiquement, ce que fait Danièle Bour (créatrice et illustratrice de Petit Ours Brun) est très beau et d’une grande simplicité et lisibilité. Et ses couleurs, douces et lumineuses touchent le lecteur. Plus globalement, Petit Ours Brun est un héros qui évoque la vie des enfants avec beaucoup de justesse. C’est quand même ça, la force de Petit Ours Brun. Il faut évidemment beaucoup d’autres héros et histoires qui entraînent les enfants vers l’imaginaire, mais le fait de coller à leur vie, de mettre en valeur des petites choses de leur quotidien, avec vérité et précision, c’est ça qui plaît, selon moi.

Je présente aussi Petit Ours Brun comme un héros des émotions du quotidien, qui sait mettre des mots sur ce qu’on ressent, un héros qui fait prendre conscience. On prend conscience que… Eh bien, qu’on se fâche avec sa maman, qu’on est super content d’aller à la piscine, qu’on tombe en arrêt devant une petite bête sur la feuille d’une plante et qu’on peut passer des heures à la regarder… L’enfant réalise qu’il n’est pas tout seul à vivre ça, aussi bien en positif qu’en négatif.

Des histoires qui adoptent le regard de l’enfant

Dans toutes les biographies, vous êtes présentée comme journaliste avant d’être autrice. Est-ce que votre écriture de l’observation des enfants vient de ce métier ? Du reportage, pourrait-on dire ?

M. A. : Pour moi, l’enjeu, c’est en effet d’être fidèle à l’enfance. De toujours garder le point de vue des petits. Parce que très vite, on peut adopter un regard sur l’enfant, et non pas le regard de l’enfant. Pour cela, je suis toujours allée à la rencontre de parents, je les ai questionnés sur le moment du coucher, les balades, la pêche aux crabes. Que sais-je ? Les gens se sont racontés et même si les enfants ne sont pas tous les mêmes, il y a quand même des récurrences.

Ce regard de et sur l’enfant nous fait aussi prendre conscience en tant que parent que ce n’est pas évident d’avoir 3 ans…

M. A. : Apprendre à enfiler son pull, de mettre ses lacets, d’acquérir la propreté, d’appréhender la frustration… Rien n’est évident : j’ai mes propres souvenirs d’enfant, comme lorsque j’ai dû faire ma première photo d’identité… Il fallait aller derrière le rideau, et j’étais morte de trouille ! Qu’allait-il m’arriver derrière ce rideau ? Pour les enfants, il y a un tas de choses comme ça. Ils n’ont pas la même perception du monde que nous, parce qu’ils le découvrent. C’est ce que j’essaie de bien garder en tête.

Du côté de la poésie et de l’éveil au langage en douceur

Petit Ours Brun, c’est aussi un héros de la contemplation. Il regarde les feuilles qui volent, les petites bêtes… Il vit dans une forme de lenteur très sympathique !

M. A. : Oui, ou il regarde la lune, il se déplace et a l’impression que la lune le suit… Ça, c’était d’emblée un peu posé. Et c’est le graphisme qui produit cet effet. Les dessins de Danièle Bour invitent à la poésie. Il y a quelque chose de paisible et de dense en même temps. Je trouve qu’elle a un dessin qui va bien avec le côté contemplatif. Aujourd’hui, on parle de « slow life ». Mais pour « POB », c’était bien avant qu’on utilise cette notion. D’ailleurs, on peut aussi dire de lui qu’il invite à la prise de conscience écolo, parce qu’avec les petits, l’écologie, c’est leur faire aimer la nature. Ils ont alors envie de la protéger.

Comment travaille-t-on l’écriture des aventures d’un héros des tout-petits ?

M. A. : Il faut vraiment que le langage soit extrêmement simple. Ce n’est pas toujours facile parce qu’il faut, par exemple, faire très attention à l’usage du pronom : le « il ». Lorsque l’on dit « Petit Ours Brun dit bonjour à Papa » puis, « il est très content », on ne sait pas si c’est « Petit Ours Brun » ou « Papa » qui est content. Donc, on doit sans cesse répéter « Petit Ours Brun est très content ». Forcément, une lourdeur s’impose. Mais je tente d’y apporter une certaine musique, un rythme, des rimes, de jouer avec les onomatopées, les sonorités, pour compenser.

Petit Ours Brun, un héros qui évolue au fil du temps

Quels enfants vous ont inspirée autour de vous ?

M. A. : Ce sont beaucoup les enfants de mes amis, mes neveux, mes nièces, je m’en suis beaucoup servie ; mais la dernière a 18 ans maintenant. Alors, parfois, ça m’arrive de demander leurs souvenirs à mes frères et sœurs. Chez nous, l’enfance, c’est important. Il y a des familles où on ne se met pas à la hauteur des enfants. Ce n’est pas forcément plus mal. Les enfants sont tout de suite tirés vers le haut. Mais nous, on a un esprit d’enfance. Et puis, au fond, psychologiquement, qu’on le veuille ou non, dans ce qu’on écrit, il y a un peu de soi. Donc Petit Ours Brun me ressemble un peu !

Y a-t-il eu un point de bascule sur la façon de le représenter ?

M. A. : Dès les premiers épisodes, on voit Papa étendre le linge ou faire la cuisine. On a souvent reproché à Pomme d’Api l’image où il lit le journal, sous-entendu, « pendant que Maman est à la cuisine, etc., etc. » mais en réalité, Maman n’est pas en train en de faire la cuisine à ce moment-là. Et globalement, Maman ours est peu représentée dans les tâches domestiques. Même si elles font partie de la vie quotidienne. Parfois, le visuel est genré, mais comme ce sont des ours, c’est avant tout une manière de les identifier

4 comptines et chansons Petit Ours Brun à écouter, Popi n°442, juin 2023. Illustration : Céline Bour-Chollet, Danièle Bour et Laura Bour.

Je prends beaucoup de précautions pour ne pas faire jouer Petit Ours Brun seulement avec des petites voitures, ou le déguiser en pompier. Parce que même si beaucoup de petits garçons aiment ces jeux-là, Petit Ours Brun, sans les bouder est plus dans l’imaginaire, la contemplation, les jeux avec la nature, les autres… J’ai d’ailleurs récemment insisté pour qu’il se déguise en princesse. Au moment du carnaval. Tout simplement parce que j’ai lu, notamment sur des forums de parents, qu’il y a un âge où les petits garçons – certains, au moins- sont comme les petites filles, attirés par les paillettes, le rose. Il y a eu une époque où je n’aurais pas pu proposer un tel scénario.

Certaines choses que j’ai écrites sont le reflet de l’époque à laquelle je les ai écrites, mais je trouve parfois que certains procès faits à Petit Ours Brun sont injustifiés. Et moi, je suis attachée à ce petit ours brun qui m’est arrivé entre les bras ; et j’ai envie de le défendre !

On l’accuse aussi d’être un peu ringard, “tradi”…

M. A. : Oui, et je ne vous cache pas que ça m’atteint. J’estime être à des kilomètres de ça et les gens que j’observe et interroge sont comme vous et moi, bien dans la société d’aujourdhui, sans aucune nostalgie. Ça me fait mal au cœur que cette image revienne régulièrement. Petit Ours Brun a suivi l’évolution de la société. Il intègre de plus en plus la technologie, fait des « selfies » avec maman, par exemple. On a travaillé aussi sur la représentation de la diversité, des nouveaux modèles familiaux, avec une histoire de famille monoparentale et une histoire autour de la garde partagée… Je vais régulièrement sur des blogs de mamans et des forums, pour rester « dans l’époque ».

Et je travaille aussi beaucoup certains thèmes, liés à l’éducation positive, ou disons plutôt, l’autorité juste. C’est un aspect qui me plaît beaucoup parce que moi, j’ai le temps de réfléchir sur la posture parentale, de lire et d’aider les parents qui ne seraient pas naturellement armés et de chercher une réponse constructive à donner à l’enfant, ce que dans le feu de l’action, les parents n’ont pas forcément la possibilité de faire. Il me semble que quand on s’y intéresse, on peut trouver la bonne attitude, à la fois pour cadrer son enfant, tout en lui laissant vraiment sa part d’autonomie maximale, tant que c’est possible. Il y a quand même une bonne façon de respecter son enfant tout en l’aidant à grandir. Et ça, ça me passionne.

Camille Choteau, Responsable édito web et réseaux sociaux