“L'histoire vraie” : Clémentine Beauvais, le jour où elle est devenue écrivaine.
© Cha_Gonzalez.

“L’histoire vraie” : Clémentine Beauvais, le jour où elle est devenue écrivaine

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À l’occasion du 41e Salon du livre jeunesse de Montreuil, qui débute le 26 novembre, le magazine Je bouquine revient sur les débuts de la talentueuse autrice jeunesse Clémentine Beauvais, dans sa rubrique “L’histoire vraie”. Pour Clémentine, tout commence en 2009, lorsqu’elle dépose, sous pseudonyme, deux manuscrits dans la maison d’édition où elle est stagiaire… Une histoire rocambolesque, qui donnera envie à nos ados de persévérer dans leurs rêves !

À nous deux, Paris !

Perdue dans ses pensées, Clémentine Beauvais a enclenché le mode pilote automatique sur son vélo. L’étudiante, qui s’était installée à Cambridge en Angleterre, est de retour à Paris pour faire un stage dans une maison d’édition. Ce matin d’août 2009, elle a à peine touché à sa tasse de thé. C’est bien le signe que quelque chose la tracasse. Et ce “quelque chose” pèse le poids de deux manuscrits qui se trouvent actuellement dans son sac à dos

Clémentine gare son deux-roues devant une jolie maison en pierres. Deux paires d’yeux rieurs guettent son arrivée derrière la fenêtre du rez-de-chaussée. Pas besoin de toquer, les deux jeunes enfants trépignent déjà derrière la porte ! Laurence Faron, leur mère et la fondatrice des éditions Talents Hauts, accueille Clémentine, une mini chaussette orpheline à la main. La jeune fille de 20 ans jette un coup d’œil furtif à sa montre : mince, elle est arrivée avec une demi-heure d’avance ! Ça n’a pas l’air de
déranger Laurence.
— Je finis de m’occuper de Félix et Sidonie, puis je te rejoins. Monte et installe-toi !

Du talent sans clichés

Les bureaux de Talents Hauts se trouvent au dernier étage de la maison familiale. Cette maison d’édition jeunesse a été créée quatre ans plus tôt. L’équipe se résume à deux personnes : Laurence Faron et Mélanie Decourt. Elles ont tout de suite confié des tâches importantes à Clémentine. La jeune femme lit les manuscrits qui arrivent par la poste et par mail, puis les trie en deux catégories : ceux qui méritent d’être lus et ceux qui sont vraiment hors sujet.

Talents Hauts veut s’attaquer aux stéréotypes de genre. Fini, les histoires où la princesse épouse le prince à la fin ! Parfois, il faut aller chercher ces textes très loin : le premier album pour enfants publié par Laurence et Mélanie vient du Canada. Clémentine a le profil idéal pour les aider à dénicher ces pépites : elle lit beaucoup, parle parfaitement l’anglais, et en plus, elle a la fibre féministe. Depuis toute petite, sa mère, Blanche, lui répète à quel point il est important pour une fille d’être indépendante.

Son stage chez Talents Hauts se passe à merveille, Laurence et Mélanie lui font entièrement confiance. Pour l’instant en tout cas… Maintenant, il est trop tard pour reculer, songe la jeune femme. Elle respire un grand coup, ouvre son sac à dos, en sort ses deux manuscrits, et les dépose sur la pile “À lire”. Clémentine prépare ce geste depuis plusieurs semaines. Mais elle rêve de devenir écrivaine depuis toujours.

Un premier roman à 10 ans

Son premier roman, elle l’a écrit à l’âge de 10 ans. La Guerre des bonbons allait forcément lui assurer une renommée mondiale, c’était sûr ! Face à son enthousiasme, sa mère Blanche l’a aidée à envoyer le manuscrit aux grandes maisons d’édition parisiennes. Mais catastrophe, à la place d’une invitation à venir parler de son chef-d’œuvre sur un plateau de télévision, elle a reçu un déluge de lettres de refus. Sa mère a bien essayé de lui faire voir le positif : “Regarde, celle-ci te félicite pour tes dialogues !” Mouais…

Clémentine était désespérée. Pourtant, elle a continué à écrire et à envoyer des textes aux maisons d’édition. Elle adorait raconter des histoires. Au collège, l’écriture est devenue un exutoire quand elle a commencé à être harcelée parce qu’elle était la première de la classe. Chaque soir, après les cours, elle s’installait devant l’ordi qui prenait toute la place sur son petit bureau, et se mettait à jouer avec les mots… Comme Christiane, la bibliothécaire, et comme monsieur Bonijol, le directeur de l’école primaire, lui avaient appris à le faire. Ces deux-là avaient à cœur de transmettre leur amour de la langue française.

“L'histoire vraie” : Clémentine Beauvais, le jour où elle est devenue écrivaine.

Jeux de mots et compagnie

Des années plus tard, Clémentine garde une image onirique de Christiane, entourée de livres et juchée en haut d’une toute petite mezzanine. La bibliothécaire demandait aux écoliers d’inventer des noms de rues à partir de jeux de mots : la rue Tabaga, la rue Béole, la rue Stine… Monsieur Bonijol, le directeur, apparaîssait les jours où la maîtresse de Clémentine était malade. “Sortez une feuille et écrivez des mots brillants, puis imaginez un texte avec !” ordonnait-il. Qui sait quelle prose Clémentine avait bien pu pondre à partir de mots comme mousse, poulpe, scintiller, écrevisse, cloque et turlututu ?

Clémentine n’a jamais manqué d’imagination. Et ça, elle le doit sûrement à ses parents et aux histoires qu’ils lui racontaient. Dans leur appartement, les livres montaient jusqu’au plafond. Comme dans le conte La Belle et la Bête, il fallait grimper sur une échelle pour atteindre l’étagère la plus haute. Cette échelle servait aussi de perchoir à Clémentine, elle s’y asseyait pour réciter avec application des poésies ou des tables de multiplication. Bien que les maths n’aient jamais été son truc, au grand désespoir de sa mère…

Parfois, Nicolas, son père, y grimpait pour raconter des histoires inventées de toutes pièces. En plus de Clémentine et de sa petite sœur Agathe, de six ans sa cadette, son public se composait souvent de l’un de leurs animaux de compagnie, la chatte Opaline ou la tortue Georges-Alain, qui vivaient en liberté dans l’appartement, ou le hamster Doubichou. Pour sûr, les salamandres, les tritons, les grenouilles albinos devaient aussi tendre l’oreille depuis leur terrarium !

Tenter sa chance, encore et encore

Cet été 2009, de retour d’Angleterre, Clémentine a retrouvé sa chambre d’enfant. Sur son bureau, rien n’a bougé ou presque. Le vieil ordinateur lui semble encore plus imposant qu’avant, à côté de sa précieuse agrafeuse, celle avec laquelle elle transformait ses feuilles griffonnées en livres. En revoyant le petit objet métallique, toute la frustration accumulée ces dix dernières années à cause des lettres de refus s’est envolée. Elle ne cessera jamais d’écrire, elle en a la certitude. Mais doit-elle abandonner son rêve d’être publiée ? Après quelques semaines de stage chez Talents Hauts, elle s’est décidée à tenter sa chance, une nouvelle fois.

Lors d’un précédent stage chez Penguin Books, à Londres, Clémentine avait été surprise de voir la quantité pharaonique de manuscrits que recevait chaque jour le prestigieux éditeur. Et le nombre d’entre eux qui étaient écartés en un coup d’œil était tout aussi impressionnant. Chez Talents Hauts, les deux éditrices n’en étaient pas encore à faire des piles à côté de leur bureau, mais elles avaient tout de même une idée très précise de ce qu’elles recherchaient. Clémentine a donc écrit deux textes en un temps record : un pour les enfants et un pour les ados, en respectant à la lettre la ligne éditoriale de la maison d’édition. Tous les soirs, après son travail, elle s’empressait de rentrer, installait son ordinateur portable à côté du gros écran de son enfance, et tapait ses histoires jusque tard dans la nuit. Cette fois, elle avait décidé de la jouer incognito. Elle a donc trouvé un pseudonyme, Mélusine Blanche, et a même inventé une adresse mail.

La victoire de Mélusine Blanche

Et la voilà aujourd’hui, à scruter ses manuscrits ajoutés sur la pile “À lire” de Laurence et Mélanie, comme s’ils allaient se mettre à parler pour la dénoncer !
— Alors, tu as lu des textes intéressants ?
L’arrivée de Mélanie, puis de Laurence, fait sursauter Clémentine qui devient rouge pivoine.
— Euh, oui, quelques-uns… Les voilà !
— Parfait, merci beaucoup. On les embarque pour notre réunion, l’informe Mélanie.
— Si tu as besoin de nous, on s’installe en bas dans le salon ! ajoute Laurence.
La réunion dure étrangement longtemps. Quand Laurence et Mélanie remontent enfin,
Clémentine leur saute presque dessus
.
— Ça s’est bien passé ? finit-elle par demander.
— Oui ! Une certaine Mélusine Blanche nous a envoyé un album prometteur, on va le publier.
explique Laurence.
— Elle a aussi proposé un roman ado, mais je suis moins convaincue, avoue Mélanie. On pourrait peut-être aussi l’accompagner dans le choix d’une nouvelle thématique.
Clémentine se mord la joue pour ne pas sauter de joie.
— On a quand même un problème, reprend Laurence.
— Ah, lequel ? demande Clémentine.
— L’autrice ne nous a pas laissé son numéro de téléphone. Peux-tu essayer de le trouver ?
Cette fois-ci, la jeune fille affiche un large sourire et, après quelques secondes d’hésitation, elle répond, émue :
— Je peux peut-être vous faire gagner du temps. L’autrice… elle est devant vous !
Grand silence. Mélanie et Laurence se regardent, abasourdies. Elles savaient qu’elles avaient affaire à une stagiaire brillante, passionnée de littérature, mais pas qu’elles avaient recruté une écrivaine.
— Eh bien, on ne s’attendait pas à ça. Tu nous as bien eues !
Pour elles, ce tour, plutôt bien ficelé, ne change rien : Clémentine a du talent et elles vont l’aider à se lancer…

Clémentine Beauvais en 5 dates

1989. Clémentine Beauvais est née le 6 janvier à Paris. Elle a 36 ans.
2010. Elle remporte le Prix du jeune écrivain pour sa nouvelle L’étrange cas des deux amours de Jean-Baptiste Robert.
2010. Les éditions Talents Hauts publient son roman Les petites filles top-modèles et son livre pour enfants Samiha et les fantômes. Puis La Plume de Marie, un roman pour ados, sortent 2011 chez le même éditeur.
2015. Les Petites Reines est publié aux éditions Sarbacane. Ce roman-ado a reçu 5 prix littéraires. Il a été adapté au théâtre et en BD.
Depuis 2016, Clémentine Beauvais est enseignante-chercheuse au Royaume-Uni, à l’université de York.

Couverture du magazine Je bouquine n° 501, novembre 2025.
  • L’article “Clémentine Beauvais, le jour où elle est passée de stagiaire à écrivaine” est extrait du magazine Je bouquine n° 501, novembre 2025. Il a été écrit par Laureline Dubuy.

Zoom sur “Rouge”, le dernier roman pour ados de Clémentine Beauvais

Publié fin septembre 2025, Rouge est un roman jeunesse qui bouscule les codes. Porté par une plume sensible et engagée, ce récit aborde un sujet rarement exploré en littérature jeunesse : la phobie sociale chez les adolescents, à travers l’éreutophobie, ou la peur de rougir en public. Un trouble anxieux méconnu, mais profondément invalidant, qui touche de nombreux jeunes, et met en lumière l’importance cruciale de la santé mentale à l’adolescence. À partir de 11 ans.

Dans cette vidéo, l’autrice nous dévoile les secrets du roman…

  •  Dans Rouge, nous suivons Roxane, une adolescente qui vit dans la crainte constante de rougir devant les autres. Sur un forum dédié aux phobies, elle fait la connaissance de Fleur, qui partage la même souffrance. Ensemble, elles décident de participer à une téléréalité américaine qui leur promet une opération miracle pour ne plus jamais rougir.
Couverture de “Rouge”, le roman de Clémentine Beauvais qui aborde un sujet rarement exploré en littérature jeunesse : la phobie sociale chez les adolescents, à travers l’éreutophobie, ou la peur de rougir en public. Un trouble anxieux méconnu, mais profondément invalidant, qui touche de nombreux jeunes.