Ces derniers mois, les inquiétudes liées à la pandémie ont parfois empêché ou espacé les contacts entre grands-parents et petits-enfants. Au grand regret des uns comme des autres. Le magazine Pomme d’Api analyse dans son supplément pour les parents cette relation particulière…
Entre partage et complicité
Les grands-parents ? Pierre Charazac, psychiatre, psychanalyste, et lui-même grand-père, use d’une métaphore militaire pour définir leur rôle : “Des personnes en deuxième ligne par rapport à l’enfant, qui peuvent monter en première ligne en cas de besoin.” Sa femme, Marguerite Charazac, également psychanalyste, choisit d’insister sur le plaisir qu’elle prend à partager avec ses petits-enfants ce qui la touche : “Le rêve, l’imaginaire, par la peinture, la musique…” Elle remarque aussi qu’elle peut facilement aborder avec eux des questions existentielles : “La vie, la mort, d’où on vient, etc.” Comme elle, de nombreux grands-parents se sentent plus libres avec leurs petits-enfants qu’ils ne l’étaient avec leurs propres enfants : “Je ne suis pas responsable de leur éducation, note Isabelle (lire son témoignage ci-dessous), cela change mon regard : je suis plus coulante, c’est ça l’intérêt aussi !”
Bien sûr, les situations diffèrent selon l’âge, l’éloignement géographique, l’état de santé, la composition familiale… Mais souvent, les grands-parents sont plus disponibles que les parents, moins pris par les contraintes professionnelles, financières ou logistiques. Leur disponibilité et leur expérience les aident à lâcher du lest. Et à créer des moments complices et des espaces de liberté qui nourrissent les plus beaux souvenirs de l’enfance… Marguerite Charazac n’hésite pas, par exemple, à proposer à ses petits-enfants “des journées foutraques au cours desquelles on invente des gros mots, on part manger dehors dans un champ, bref, on lâche la bride”.
Et quand ça se crispe ?
Si les parents confient leurs enfants à leurs propres parents avec une liste interminable de recommandations, ou que les grands-parents prennent systématiquement le contre-pied de leurs enfants, des tensions surgissent inévitablement. Pour que ça se passe bien, Ivy Daure, psychologue clinicienne et thérapeute familiale à Bordeaux, recommande que “les parents soient très au clair sur le fait que des grands-parents ne peuvent pas faire exactement comme des parents – et c’est ce qui est sympa aussi”.
Inversement, les grands-parents doivent garder à l’esprit que “la parentalité met les jeunes parents à fleur de peau” et les rend susceptibles aux moindres remarques. Et la psychologue met en garde : “Lorsque des grands-parents se mêlent de l’éducation de leurs petits-enfants, les réprimandent parce qu’ils jugent les parents trop laxistes, ou au contraire, leur permettent de manger une glace avant le repas alors que les parents l’ont interdit, ils finissent par disqualifier leurs enfants, comme s’ils les jugeaient incapables d’être de bons parents”. Une attitude difficile à supporter pour ces derniers, déconcertante pour les petits-enfants également, et qui risque peu à peu d’éloigner les générations.
Pour prévenir cela, si la façon de faire des grands-parents dérange, il faut s’interroger : “Est-ce contre moi ? Est-ce que cela me désavoue dans ma façon d’être parent ? Est-ce tout simplement une difficulté à imposer des règles qui ne sont pas les leurs ?” De façon pragmatique, tout le monde doit s’accrocher à une priorité : ne pas priver les petits-enfants de leurs grands-parents. Quand on devient parent ou grand-parent, chacun doit réévaluer sa place en faisant un travail d’adaptation. “Si chacun pense que ses principes sont absolus et irrévocables, on court à la catastrophe” souligne Pierre Charazac. D’autant que l’arrivée d’un conjoint a elle aussi rebattu les cartes, lui qui apporte une autre culture familiale, une autre façon de fonctionner, de communiquer – des différences d’autant plus visibles lorsqu’il s’agit d’élever un enfant.
Autant essayer d’accorder ses violons en dialoguant, avec délicatesse, respect et désir de progrès. Ainsi, Emmanuelle s’est mise d’accord avec ses enfants, son ex-compagnon, et l’ensemble des grands-parents : les règles qui s’appliquent sont celles en vigueur chez celui qui reçoit. Quand on est chez Mamie, c’est elle qui décide. Quand on est chez Papa, c’est lui, et ainsi de suite. On le voit : autant parler de ce qui préoccupe les uns et les autres, pour que les relations entre petits-enfants et grands-parents s’organisent au mieux, et gardons en tête que confier ses enfants à ses parents équivaut à leur dire “Je vous fais confiance !”. Une belle preuve d’amour.
Papi, Mamie : ce qu’ils apportent aux petits-enfants (et inversement), vu du côté des parents
Emmanuel, 39 ans, deux enfants de 5 ans et demi et 2 ans et demi
« Nos enfants ont leurs quatre grands-parents, mais ils habitent loin. Nous les voyons, pour les uns deux à trois fois par an, et pour les autres une fois par mois environ. Je trouve important que mes enfants aient une relation avec des adultes de la famille qui ne sont pas leurs parents, qui se comportent autrement et réagissent différemment face aux disputes, qui ont une autre vie quotidienne que la nôtre. Les grands-parents font preuve d’une attention différente, et ils ont plus de temps aussi : quand ils sont là, il me semble qu’ils sont plus pleinement avec les enfants que nous ne le sommes. Quand nos enfants passent du temps avec eux, sans nous, ils reviennent avec des souvenirs de trucs un peu “extraordinaires”, à leur échelle : une glace, la plage, des anecdotes sur notre enfance… et ils ont le droit de faire des choses qui ne sont pas forcément permises chez nous ! Le cadre est plus cool aussi sur les horaires, les repas… J’ai bien tenté d’empêcher ma mère d’accéder à leurs demandes si facilement, mais sans succès ! Finalement, je me suis fait une raison. »
Aurore, 35 ans, deux enfants de 9 ans et 3 ans
« J’ai deux enfants de deux papas différents, et je suis séparée. Les grands-parents paternels de mes enfants n’ont aucune relation avec nous. De mon côté, ma mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle ne peut plus tenir son rôle de grand-mère. Alors il ne reste que mon père. Il représente un véritable repère pour mes enfants, pour mon fils en particulier, et cela depuis toujours. Mon père est encore actif, mais il s’investit beaucoup auprès de ses petits-enfants. Il fait les sorties d’école, par exemple. C’est un précieux soutien logistique : c’est grâce à lui que je peux aller travailler. Il apporte aussi beaucoup de tendresse ! Mon fils et son grand-père aiment passer des moments complices, seuls ensemble. Ils partagent le même intérêt pour la randonnée, la nature. Ils forment un duo, ils sont dans leur bulle. Je suis presque une intruse quand je les accompagne ! »
Papi, Mamie : ce qu’ils apportent aux petits-enfants (et inversement), vu du côté des grands-parents
Isabelle, 70 ans, 15 petits-enfants, de 17 ans à 3 ans
« Quand je suis devenue grand-mère, j’ai éprouvé une grande fierté. La fierté de voir que mes enfants avaient des enfants, la fierté de revoir la vie s’éveiller, non plus chez moi, mais chez eux. Je me suis régalée, comme spectatrice comblée, en observant tout ce bien et tout ce beau qui s’éveille. J’ai un autre regard que celui que j’avais sur mes propres enfants. Je ne fais que guetter ce qu’il y a de bien chez eux. Notre rôle, je crois, c’est aussi d’être sécurisants, de rassurer nos enfants sur leurs enfants. À la lueur de notre expérience, on les tranquillise : “Il ne mange rien à table ? Ça ne va pas durer !” Ou “Ne t’énerve pas à interdire la télé, il la regardera quand même !” Et puis une grand-mère, ça raconte ! J’ai davantage envie de transmettre, maintenant. Avec mes enfants, j’avais d’autres chats à fouetter ! Je raconte des choses à mes petits-enfants que je n’ai même pas dites à mes enfants ! Des impressions que j’ai eues, ou mon adolescence, dont je parle sans fard. »
Christian, 74 ans, 2 petits-enfants de 8 ans et 5 ans
« Comment c’était avant, quand tu étais petit ? Ça les intéresse beaucoup, même si entre leur enfance et la mienne, ça n’a rien à voir ! J’étais peintre décorateur, et copiste au Louvre. Alors ensemble, on peint, évidemment. Je leur montre des techniques. Par exemple, avec une éponge marine : si on tire l’éponge, on peut faire de l’herbe. Ils sont fiers des tableaux qu’ils font, sur toile ! Et je les ai emmenés au Louvre, eux qui vivent à la campagne. Ils n’avaient jamais vu de tableaux aussi grands. Par la fenêtre du musée, ils ont aperçu de grandes structures de jeux en Inox dans le jardin des Tuileries. Une nouveauté qu’ils m’ont fait découvrir ! Un grand-père, c’est surtout du temps, de la disponibilité… On a démonté ensemble une vieille tondeuse pour en faire une voiture. Et je leur ai fabriqué une balançoire avec un vieux pneu et à chacun une tyrolienne. Ça les amuse beaucoup. Le problème, c’est qu’eux grandissent, et nous, on vieillit ! Mais ils nous permettent de rester jeunes. À part jouer à chat perché, je fais encore presque tout ! »
Des lectures pour aller plus loin
Pour les grands
Les petits-enfants expliqués aux grands-parents, de Gerard Janssen, traduit du néerlandais, Solar éditions. Ce petit livre, porté par un graphisme très moderne, fait le point sur le rôle des grands-parents d’aujourd’hui. Des infos empruntées à l’anthropologie, la sociologie et la psychologie, accompagnées de textes très humoristiques, comme “le règlement intérieur chez les grands-parents”, “les relations avec sa belle-fille”, etc.
Pour les enfants
Mes vacances chez Mamie, de Hua Xie et Huang Li, éditions HongFei. Xiaoma adore passer ses vacances chez Mamie, parce qu’elle accueille à bras ouverts tous ses amis… imaginaires. Ils font partie de la famille, eux aussi ! Problème : ils sont de plus en plus nombreux, et pour Mamie, c’est épuisant ! Un album joyeux, à partir de 4 ans.