#SkinnyTok, la tendance virale qui met en danger la santé de nos ados
© AdobeStock.

#SkinnyTok, la tendance virale qui met en danger la santé de nos ados

Publié le

Sur TikTok, on compte en centaines de millions les vues et likes générés par la tendance #SkinnyTok. Les vidéos font l’apologie de la maigreur et incitent les internautes, souvent mineurs, à s’imposer un régime drastique, voire à arrêter de s’alimenter. Malgré une récente suppression du hashtag par le réseau social pour endiguer le mouvement, le contenu y est encore présent. Décryptage.

Les images défilent dans un geste quasi-hypnotique. Un « scroll » impulsé par le pouce qui balaie l’écran de bas en haut. De courtes vidéos apparaissent, toutes soigneusement choisies par un algorithme qui, après avoir scruté le comportement de son propriétaire sur TikTok, pousse du contenu de plus en plus ciblé. Et plus on s’attarde sur la vidéo, plus les suivantes se ressembleront… Ce qui paraît anodin pour des vidéos de chatons mignons devient extrêmement problématique lorsque le sujet menace la santé des utilisateurs. Dans le cas du « SkinnyTok » – contraction de « skinny », maigre, et de TikTok –, la tendance est à la glorification de la maigreur sur le réseau social chinois. 

Apologie de la maigreur : “Tu n’es pas moche, tu es grosse”

Les vidéos mettent en scène de jeunes femmes glamourisant la minceur extrême, prononçant des phrases comme : « Si ton ventre gargouille, c’est qu’il te remercie pour tes efforts », « Arrête de te récompenser avec de la nourriture. Tu n’es pas un chien », « Tu n’es pas moche, tu es grosse ». Un discours dangereux où bonheur et succès sont promis à qui ne consomme que 1 000 calories/journée, voire se contente d’eau pendant plusieurs jours.

Inquiète devant le rajeunissement des patientes traitées pour des troubles des conduites alimentaires (TCA), l’infirmière spécialisée Charlyne Buigues (@aucoeurdesTCA sur Instagram) lançait en avril dernier la pétition #StopSkinnyTok, rassemblant 35 000 votes. « Sous couvert de conseils pour perdre du poids, cette tendance normalise des corps dénutris, voire en maigreur extrême et diffuse des propos culpabilisants et violents psychologiquement, alerte-t-elle. Alors qu’on sait que ce sont surtout les jeunes qui vont sur TikTok*. »

Des professionnels de plus en plus inquiets pour nos ados 

La promotion de la maigreur n’est pas nouvelle : il y a vingt ans naissait le mouvement pro-ana, vantant en ligne l’anorexie mentale comme mode de vie. « Avec les réseaux sociaux, il y a une amplification du phénomène, affirme Corinne Blanchet, médecin endocrinologue-nutritionniste et co-présidente de la Fédération Française Anorexie Boulimie. Tout le monde pouvait avoir accès aux contenus pro-ana, mais il fallait rechercher l’information en ligne après en avoir entendu parler. Sur TikToK, sans chercher on tombe facilement sur ce discours, et le risque d’addiction est fort. » Ce que confirme la psychiatre Claire Morin : « On sait que plus l’on commence jeune à utiliser des substances psycho-actives, plus il est difficile de s’en défaire. Pour les TCA, c’est la même chose : plus on adopte tôt ce type de comportement, plus le cerveau garde une empreinte qui empêche de s’en détacher. »

#SkinnyTok : vers des réponses des institutions à la vitesse du numérique ?

Fin 2024, onze familles françaises ont engagé des poursuites judiciaires contre TikTok, l’accusant de dégrader la santé mentale de leurs enfants. En mars 2025, l’Assemblée nationale votait la création d’une commission d’enquête sur le réseau social et les effets psychologiques qu’il produit chez ses utilisateurs mineurs. Quelques semaines plus tard, Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique, saisissait la Commission européenne et l’Arcom au sujet du SkinnyTok et affirmait vouloir interdire l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 15 ans.

Mais pour Guirchaume Abitbol, cofondateur de l’application Lyynk, les choses ne vont pas assez vite : « Actuellement, nous avons un système qui, par sa complexité et la lenteur de ses procédures, n’est pas en mesure de répondre au sujet des violences en ligne. Il faut trouver des réponses qui vont à la vitesse du numérique. » Parmi ses préconisation, la mise en place d’un code des usages numériques et surtout, dans le cas de TikTok, la régulation des algorithmes. « Plutôt que d’interdire les réseaux sociaux aux jeunes, il faut obliger légalement les applications à ne pas pousser de contenus négatifs à une personne qui fait ce type de recherches et adapter leurs algorithmes sur tous les thèmes sensibles, comme les TCA. »

La suppression du hashtag #SkinnyTok : un début de solution 

Big news ! « Aujourd’hui, Tiktok vient de me confirmer avoir enfin retiré ce hashtag inadmissible de sa plateforme, s’enthousiasmait Clara Chappaz le 1er juin 2025 dans un tweet. C’est une première victoire collective. Je la salue. » Une petite victoire en effet : depuis début juin plus aucune vidéo n’apparaît lorsque l’on tape #SkinnyTok dans la barre de recherche du réseau social.

Désormais, ce message s’affiche : « Si toi ou une personne de ton entourage vous posez des questions sur l’image que vous renvoie votre corps, sur l’alimentation ou sur l’exercice physique, sachez que vous pouvez demander de l’aide et que vous n’êtes pas seuls. » Un début de solution, certes, mais qui ne résout pas tout. Les vidéos existent encore et il suffit de rechercher « skinny » ou « thin » pour que son écran soit de nouveau inondé de contenus toxiques et de silhouettes amaigries. 

Pour nous, parents : ne pas interdire, mais en parler

Conçue pour accompagner les jeunes en situation de mal-être et recréer un lien entre enfant et parents, Lyynk a été lancée en 2024 par la psychiatre Claire Morin, Guirchaume Abitbol et sa fille, Miel. Créatrice de contenus suivie par 1,9 million de personnes sur TikTok (@miel_abtt), cette dernière a fait de la santé mentale des adolescents son sujet de prédilection après avoir elle-même vécu du harcèlement scolaire et développé des TCA. En tant que parent concerné par la question, il prévient. « L’approche la plus efficace est de ne pas attendre que son enfant développe des TCA pour en parler avec lui. Il faut évoquer ce sujet sans préjugés et surtout ouvrir la discussion pour qu’il comprenne plus tard, en cas de difficulté, qu’il n’y a pas de tabou et qu’il aura toujours notre soutien inconditionnel. » 

Yasmine Choukairy

*Selon Data Reportal, 25 % des utilisateurs de TikTok ont moins de 18 ans, et 42 % d’entre eux ont entre 18 et 24 ans.